Descente du Danube



Die schöne blaue Donau...

Spectacle improvisé entre Vienne et Györ les 4 et 5 avril 2004 par François, Jean-Daniel, Enrico, Daniel et Max
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O combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines...

A Victor Hugo, qui se posait ces questions, nous pouvons enfin répondre :
        - aucun marin, mais cinq capitaines !
Voici pourquoi...

Par une matinée bruineuse du dimanche des Rameaux, cinq rameurs d’eau douce bien décidés de rallier Vienne à Budapest par le Danube, s’élancent du Wiener Ruder Verein Donauhort à l’assaut du plus grand fleuve d’Europe. Tout se passe bien, la traversée de la ville s’effectue sous les premières percées de soleil ; ils sont presque euphoriques, la maîtrise, tant technique que morale, est totale. Leur fougue et le courant les entraînent en moins d’une heure au premier obstacle, un barrage hydroélectrique, construit là exprès rien que pour les embêter. Petit problème tout de même : comment passer ? Leur choix de passer par l’écluse ne s’avère pas être le plus judicieux, entendu le ton employé par le préposé au haut parleur, celui-ci ne souhaitant pas franchement la bienvenue en ces lieux. Ils doivent donc débarquer et transporter leur bateau pour contourner l’obstacle. Heureusement, une charrette est à disposition, ce qui rappelle aux anciens du CAV les temps héroïques où on se servait d’un petit chariot pour amener les bateaux jusqu’au lac. Petite nouveauté en aval du barrage, dont nos amis ne se méfient peut-être pas assez : le courant du Danube devient perceptible, et même un peu plus que cela. Grâce à lui, l’embarcation atteint facilement les 20 km/h (GPS dixit), ce qui est assez grisant. Par contre, une légère inquiétude gagne peu à peu l’équipage, dont la nervosité devient elle aussi perceptible. Car deux problèmes de navigation doivent rapidement être résolus par les cinq cerveaux réunis à bord: comment croiser les péniches sans se faire torpiller au fond du Danube et comment éviter les bouées rouges et vertes qui jalonnent le parcours ? La première question trouve facilement sa solution: pour éviter d’embarquer les vagues des péniches, il suffit de s’arrêter à l’attaque, ce qui soulage la proue. Position inconfortable, mais efficace. Le cas des bouées est plus difficile à résoudre: primo, les bouées ont la fâcheuse tendance à jouer le rôle d’attracteurs étranges, et secondo, cinq avis différents pour prendre une décision rapide, c’est un luxe dangereux. Et quand le daltonisme du barreur s’en mêle, ça devient épique. Mais plus bas, le fleuve s’élargit, le courant diminue, il fait beau, les paysages sont superbes, les sièges bien rembourrés, la vie est belle. Ça discute, ça chante, ça rame, nos conquistadors se croient déjà en Eldorado. Un charmant bras mort du fleuve fait un port idéal pour le picnic (pain et chocolat autrichiens, Farmers de la Migros). Tout va bien. Mais dès le retour à la navigation, un cafouillage anéantit en quelques secondes la stratégie qu’ils avaient longuement mise au point pour éviter les rochers repérés dans le fleuve … ça passe, mais de justesse ! Retour à la réalité. Soeur Vigilance est donc de retour à bord et leur tiendra compagnie jusqu’à la frontière slovaque. Celle-ci franchie, c’est tout de suite Bratislava, ville-étape qu’ils atteignent après 7 heures d’effort. Il s’agit maintenant de trouver le dock 4 et son fameux restaurant flottant « Chez Milan » ; à leur propre étonnement, ils y arrivent du premier coup. Le lieu vaut le coup d’œil : c’est un espèce de marigot, décoré de bateaux rouillés et des cabanes pourries, ambiance industrielle des pays de l’Est! Et Milan est là, qui les attend sur son radeau-resto flottant. Accueil slave et bières tchèques, alors qu’une superbe averse éclate dès qu’ils sont à la chotte. Milan les mène à l’hôtel, les ramène à son bateau pour souper, leur prépare le repas, leur ressert des bières… Et c’est pas fini ; le lendemain, après une nuit passée à suffoquer dans les vapeurs soufrées de la raffinerie voisine de l’hôtel, nos amis se font ramener par Milan pour un copieux déjeuner couronné par un gros verre de tord-boyau local! Idéal, à neuf heures du matin, avant de s’élancer à nouveau sur le fleuve. L’étape du jour doit les mener en 90 km et 7500 coups d’aviron à Györ, en Hongrie, où s’entraîne l’élite du CAV. La carte de Hongrie à l’échelle 1 :400.000 va bien entendu beaucoup les aider. Les deux premières heures s’effectuent sur un fleuve s’élargissant de plus en plus, au point de devenir presque aussi large que le Léman. Le parcours est balisé par un double alignement d’îles artificielles environ tous les 500 mètres: presque un balisage Albano! Heureusement, le vent fait la grasse matinée et n’a pas décidé de se lever, ça pourrait être scabreux. Ce plan d’eau franchi, une inscription « Sport Stop » sur une digue indique qu’un nouveau sport commence. En effet, la yolette doit quitter le Danube «commercial » qui est canalisé dès cet endroit sur 50 km. Il s’agit de sortir le bateau de l’eau, de franchir la digue et de le remettre à l’eau 300 mètres plus bas, dans le lit de l’ancien Danube. Plus facile à dire qu’à faire: les marches d’escalier de la digue sont recouvertes d’algues et plus glissantes que cent peaux de bananes réunies. Voici donc nos apprentis-marins en train de «briquer» les escaliers comme s’il s’agissait du grand pont d’un trois-mâts. Encore un obstacle franchi, mais sans charrette, cette fois. Ce bateau fait un poids de cochon ! Excellent pour les scolioses. Le picnic du jour, moins idillyque que celui de la veille, est avalé sous une pluie qui commence à être de plus en plus humide. Et ils repartent! K-ways et couvre-chefs indispensables, sauf pour le doyen de l’équipe qui désire garder la tête froide… Le paysage est extraordinaire : l’ancien Danube est une réserve naturelle, constituée d’un réseau d’affluents, d’eaux mortes et d’îles boisées. Le représentant le plus visible de la faune locale est le cygne, plus vigoureux que par chez nous. Sous une pluie battante, ces autochtones réagissent à l’invasion de leur territoire par un bombardement de fientes, heureusement peu précis. Mais ce paysage doit certainement être encore plus merveilleux sous un beau soleil. À chaque fois que la pluie retriple d’intensité, une hilarité étrange saisit l’équipage ; une telle quantité d’eau qui tombe pendant des heures, ce n’est pas possible… En tous cas, ça mouille sec! D’avoir mis leurs affaires dans des sacs étanches est certainement une des moins mauvaises idées qu’ils aient eu ce jour-là. Le froid commence à pénétrer dans les organismes. Ils ne se bousculent plus vraiment pour aller barrer ; c’est l’angoisse lorsque vient son tour et la demi-congélation pendant que c’est son tour. Joyeuseté suivante : les deux lits du Danube se réunissent et, immédiatement, sans transition, les problèmes de navigation ressurgissent: balises mal négociées, vagues latérales, remous mystérieux, hauts fonds non-localisés, courant imprévisible… ils n’ont pas le temps de s’ennuyer. Ce qui manque le moins à bord, ce sont les avis contraires et divergeants, à propos d’à peu près tout et n’importe quoi… Zéro marin, cinq capitaines, aviez-vous dit ? Mais le bateau avance bien, et se rapproche de l’endroit-clé où il s’agira pour eux de quitter le Danube pour remonter un de ses affluents sur 15 km pour arriver à Györ. D’après leurs informations (??), la confluence se situe au km 1895, il faut ouvrir l’œil s’ils veulent éviter de devoir remonter le courant. Au kilométrage indiqué, une trouée avec des eaux calmes apparaît rive droite, c’est là! Fini de discuter, go, ils prennent de l’élan pour passer et …crac! Le bateau est proprement éperonné par des rochers sournoisement cachés sous vingt centimètres d’eau. Panique à bord! Sauve qui peut! L’épave est evacuée, attachée à un rocher, et loin du bal! Il ne faut pas moisir dans le coin. L’eau doit avoir dans les 7°C, et le courant n’arrange rien. Tels des GI’s en plein exercice de survie, les voilà crapahutant sur cette digue immergée, leur bagage sur la tête, gelés jusqu’aux os, avec un grand désordre dans la tête, atteignant la terre ferme en un quart d’heure qu’ils ne sont prêts d’oublier. Terre ferme ? Oui, mais en fait une île, déserte, bel et bien entourée d’eau de tous les côtés. Que reste-t-il à faire à nos Robinson d’un jour ? Vive le natel, qui leur permet d’alerter les dépanneurs locaux, c’est-à-dire Pierre et Roland. C’est ainsi qu’après une heure de survie sur leur ilôt, les naufragés voient arriver les deux zodiacs du CAV, pilotés par deux entraîneurs hilares et peut-être même un peu moqueurs… allez savoir ? Et pendant que les cinq compères se concertent pour mettre au point la meilleure stratégie pour sortir leur bateau de sa situation inconfortable, les deux sauveteurs, sans trop se préoccuper de ces palabres, ont vite fait de mener la yolette en lieu sûr. Les rescapés du Danube sont ensuite évacués sur terre ferme et, cerise sur le gâteau, tombent sur le seul poste de douane fluviale qui doit exister à mille lieues à la ronde. C’est là qu’il passeront encore trois bonnes heures à tenter d’expliquer à Attila leur présence en ces lieux . Grand merci à Pierre-l’interprète, sans lui, ils y seraient certainement encore. Cette journée bien remplie se poursuit à Györ autour d’un plat de pâtes au sucre, avant de s’achever dans un estaminet de la ville où ils tentent de se remettre de leurs émotions.
par Max Pfister